Le dessin de la famille imaginaire
La petite fille ne m’a pas beaucoup parlé d’elle sauf pour me dire que sa mère était séparée et qu’elle avait passé les vacances chez son père, sans exprimer d’affects particuliers. À partir de cette réflexion, je me suis posé la question de l’impact de cette restructuration familiale sur cette petite fille à ce moment-là de sa période développementale. Selon le développement affectif de Freud, cette petite fille devrait être dans le stade œdipien.
Je me suis demandé si ce changement dans sa vie familiale allait apparaître dans un test de personnalité. Au vu de l’âge de l’enfant, je me suis tournée vers le test de la famille imaginaire, dans lequel L. pourra dire des éléments sur cet environnement familial réel ou imaginaire. Je vais m’intéresser à la création de l’enfant. Consigne : « Dessine une famille, une famille que tu inventes. »
- Intérêt à la manière de dessiner de l’enfant : y a-t-il des arrêts ? A quels moments ?
Elle dessine les 3 personnages, s’arrête puis fait l’herbe« il me faudrait du blanc, car l’herbe est gelée », la fleur et l’étoile filante.
- Où a été commencé le dessin ? Par quel personnage ? L. a dessiné une famille de souris. Le dessin a été commencé à droite par le personnage 1, décrit au départ comme un petit enfant, puis comme la maman lors de l’entretien (qui aurait 1000 ans) ; puis à sa gauche, dessin d’un enfant (5ans) et enfin le papa souris (60 ans). Le genre des personnages est visible par les vêtements dessinés : une robe de la couleur préférée de la mère, une robe de la couleur préférée de L. pour l’enfant souris et un pantalon ou en tout cas une absence de robe pour le papa.
- Temps total du dessin : 12 min Temps pour le personnage principal ? 2min
- Tendance à revenir sur des détails ? Prends le temps de colorier chaque personnage avec les couleurs réellement préférées de la maman (noir), de L. (jaune) et du papa (rouge). Elle dessine toujours la tête en premier « Maman aime bien le noir, c’est sa couleur préférée.. », puis le corps.
- Réactions au cours du test ? Gêne ? Refus ? Mouvements d’humeur ?
Se lance très rapidement dans la tâche avec un grand sourire, pas de gêne visible. Beaucoup de verbalisations pendant le dessin.
- Commentaires du sujet : « J’ai fait tout en rose, je n’aime pas le noir. » « Je peux colorier, faut que je colorie ? » « Je voulais faire des loups, mais je ne sais pas les faire… ». Pendant ce dessin, elle raconte un rêve « dangereux » selon elle. Puis elle me parle de son frère jumeau. Je lui demande s’il va dans la même école qu’elle. Elle répondit que non. Je lui dis : « vous avez le même âge alors ? ». Elle me dit qu’il avait 4 ans et elle 5ans. Je lui dis : « il est donc plus jeune que toi ? » « oui, c’est mon frère jumeau… »
ENTRETIEN
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- « Cette famille que tu as imaginée, tu vas me la raconter… » Où sont-ils ? Que font-ils là ? Quels rôles pour chaque personnage ?
« Ils vont se balader à la piscine. Ils sont près de la piscine. »
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- Quel est le plus gentil ? « Tous ». Pourquoi ? « Je ne sais pas ». (interruption, parle de son invitation à un goûter, de son amoureux…). Je repose la question : elle désigne sa mère, car celle-ci lui donne des bonbons.
- Quel est le moins gentil ? « Papa. » Pourquoi ? « Il ne me donne pas de bonbons. »
- Quel est le plus heureux ? « Moi, l’enfant sourit. » Pourquoi ? « J’aime bien aller dehors prendre l’air ».
- Quel est le moins heureux ? « Personne. » Pourquoi ? « c’est une famille heureuse »
- Et toi dans cette famille, qui préfères-tu ? « Tous. » Pourquoi ? « Ils me font des câlins. »
- Qui serais-tu ? « L’enfant sourit. »
- Quelqu’un n’a pas été sage. Qui est-ce ? Papa. Qu’aura-t-il comme punition ? « Il ne pourra plus regarder le foot. »
- Es-tu contente de ton dessin ? « Oui »
- Ferais-tu de la manière si tu devais recommencer ? « Je ne sais pas »
Le dessin comporte des éléments factuels, formels, mais il ne faut pas négliger le contenu conscient et inconscient. Ce contenu révèle « quelque chose de la personnalité tout entière. »
Mes observations :
- Aspects formels et graphiques :
- semble entrer avec plaisir dans la tâche. L. tient le crayon de manière efficace (pince) L’aspect graphique du dessin correspond à celui d’un enfant de son âge et le dessin des personnages souris est de la même facture que le dessin du bonhomme. Le dessin est très coloré, agréable à voir selon moi. Le dessin se situe dans la partie supérieure de la feuille, zone de l’expansion imaginative selon Corman. Les tracés sont nets et précis, d’ampleur moyenne. Les personnages souris sont dessinés de profil, compétence graphique qui me semble supérieure à celle d’un enfant de 5 ans, qui témoigne de sa maturité et donc de son niveau de développement. Il n’y a pas de facteurs d’inhibition visibles.
L est au stade du réalisme intellectuel (respect des proportions, thème personnalisé, présence de vêtements…). Le type de dessin selon est sensoriel de par la présence de couleurs, d’un décor et de détails.
- a commencé son dessin par la droite de la feuille alors qu’elle avait réalisé la plupart des autres activités avec sa main droite : quelle signification peut-on donner à cet acte ? J’ai relié cela au fait que pendant l’assemblage d’objets, L. prenait les pièces des deux mains. Je me suis alors demandé s’il ne fallait pas vérifier la latéralité innée de L. Ce que je fis à la fin de ce test : L passe bien en premier le bras gauche au-dessus du bras droit. En ce qui concerne le pied, elle tire du pied droit. Je ne pense pas que ce test suffise pour affirmer que la latéralité innée de L. soit à gauche, mais nous incite à penser que L. n’a pas de latéralité bien définie pour le moment.
- Aspects cliniques :
Le fait que L. ait commencé à droite selon Corman indiquerait un aspect régressif de la personnalité, si on élimine le fait que L. soit gauchère.
L a choisi de dessiner une famille d’animaux, à laquelle elle identifia tout de suite sa propre famille, selon le principe de réalité. Mais on remarque, indice de sa subjectivité et d’une création, qu’elle a dessiné une famille de souris. Il y a donc une oscillation entre le principe de plaisir (dessin d’animaux) et de réalité (identification des souris aux parents et à elle-même). Ce principe de réalité est visible lors qu’elle donne l’âge du papa souris et de l’enfant souris, qui correspond à son propre âge. Il y a donc un principe d’identification de réalité. Mais quelle est l’identification inconsciente ? Le fait que L. s’autorise à dessiner une famille d’animaux pourrait révéler qu’il n’y a pas d’inhibition de la spontanéité, qu’une libre expression des tendances est possible. Les mécanismes de projection sont donc actifs.
Les propos associés aux personnages sont plutôt positifs, les personnages sont tous mis en valeur, surtout la maman dessinée en première et plus grande. Il n’y pas d’angoisse de culpabilité visible. Elle ne parle pas de la séparation de ses parents. Le fait que L. parle d’un frère « jumeau » alors qu’apparemment elle n’en a pas n’est sûrement pas anodin à ce moment du test… De même, lorsqu’elle raconte son rêve…
- a ajouté dans l’entretien qu’elle aurait préféré faire une famille de loup, mais qu’elle ne savait pas les dessiner…Pourquoi vouloir dessiner des loups et pourquoi ne pas l’avoir fait ? Est-ce parce que c’est un animal fréquent dans les livres de conte? Ou selon Corman, le loup représente-t-il des pulsions du stade sadique-oral ?
- Structure formelle du groupe :
Les personnages sont posés sur un sol. Le personnage le plus grand est la maman, qui a été dessinée en première et avec soin. Peut-être peut-on émettre l’hypothèse de l’importance de la maman pour notre sujet, personnage auquel L. s’identifie peut-être. En effet selon Corman, le personnage dessiné en premier est souvent objet privilégié d’identification. Le fait qu’elle s’identifie à un personnage du même sexe semble être une tendance « ordinaire » (80%).
Le dessin du papa diffère un peu de celui de l’enfant et de la maman : pas de doigts, coloriés en totalité…L’aspect du genre est visible par les vêtements (robe/pantalon) et caractères sexuels secondaires (jambes plus larges…) et l’aspect générationnel (âge donné aux personnages/taille des personnages) apparaît clairement. L’enfant se situe entre le papa et la maman, les personnages sont tous à la même distance les uns des autres. Les parents sont séparés par le personnage souris enfant. Il n’y a pas de mise à l’écart visible d’un personnage, ni de rapprochement.
Le cadre est mobile puisque L. précise que « la famille va à la piscine ». Il y a un souci du détail et de reconnaissance des personnages.
- Analyse de l’entretien :
Les propos de L. mettent en lumière le fait qu’elle insiste sur la dimension heureuse de sa famille, dans laquelle tous seraient heureux, tous seraient gentils. Elle s’identifie clairement à l’enfant souris. Après questionnement, la maman est désignée comme la plus gentille, ce qui renforce le fait qu’elle puisse s’identifier avec ce personnage. Le papa est celui qui serait le moins sage et le moins gentil et justifie cela par des éléments factuels (ne donne pas de bonbons…), la punition est adaptée au loisir du papa. Elle se désigne comme le personnage le plus heureux, ce qui révèle un état psychique équilibré. Elle refuse de choisir un personnage préféré, « ils sont tous préférés », car « ils lui font des câlins ». Ses propos font ressortir une harmonie familiale (passée ? rêvée ? réelle ?).
En conclusion, le dessin réalisé par L. et les autres données cliniques recueillies au cours de ces rencontres nous permettre de dire que L. semble avoir une bonne adaptation au réel, la structure du Soi paraît solide. Une bonne relation affective avec les parents semble apparaître. Cela demanderait à être corroboré avec un autre test projectif sur ce thème ou un autre dessin de famille réalisé plus tardivement. L. est une petite fille qui semble avoir une bonne maturité affective avec une souplesse du fonctionnement psychique. Je vais mettre cela en lien avec le dessin de sa famille de la 4ème séance, ses dessins libres et le test du Rorschach.