Avant d’entamer la lecture de ce document présentant la théorie du développement psychologique de l’enfant, il me semble important de vous resituer dans quelle démarche scientifique se trouvait Piaget lorsqu’il entreprit d’étudier le développement Psychologique de l’enfant car je suis convaincu que cela a une importance capitale.
Rappelons d’abord que Piaget est d’abord et avant tout, depuis 1918, Docteur en sciences naturelles (et non Psychologue). Son intérêt est donc en premier lieu porté sur l’étude de la nature. Et c’est dans ce cadre qu’il débute ses travaux d’études sur le développement de l’enfant. En effet, en partant de la théorie de l’évolution de Darwin, Piaget veut construire, sur le même schéma, une théorie de la connaissance. Pour lui, comme pour l’évolution des espèces, la connaissance de l’humain est due à une évolution et une adaptation des formes de l’élaboration de la logique. Et pour lui, le seul moyen d’étudier ces différentes formes d’élaboration de la logique, consiste à étudier le développement de la logique de l’enfant qui, selon son postulat, devrait suivre le même cheminement que l’évolution de la logique à travers l’Histoire. Son intérêt porté à l’étude de l’enfant part donc de ce postulat issu des sciences naturelles.
Ainsi, influencé par la théorie de l’évolution de Darwin, Piaget pose trois ancrages dans son modèle théorique qu’il est important de nommer :
– L’ancrage épistémologique : pour Piaget, la connaissance est un processus et non un état stable. Il cherche donc à comprendre comment on passe de la non-connaissance à la connaissance. C’est pourquoi il décide d’étudier l’enfant. – L’ancrage biologique : la maturation cérébrale va permettre d’organiser des structurations successives qui permettront la structuration de la pensée du sujet. – L’ancrage logico-mathématique : pour Piaget, l’intelligence s’élabore par une adaptation à l’environnement et une organisation de tout cela. Cette organisation se fait selon lui sous un mode logico-mathématique c’est-à-dire par un ensemble d’opérations définies comme des actions intériorisées, réversibles et coordonnées dans un système d’ensemble.
Pour schématiser le postulat de départ de Piaget, on peut donc dire que pour lui, l’intelligence assimile l’ensemble de la réalité et accommode l’action au monde environnant. Partant de là, voici maintenant les stades de développement qu’il a catégorisé après ses longues études expérimentales réalisées auprès d’enfants.
- I) Le stade de l’intelligence sensori-motrice
De 0 à 2 ans
Ce stade catégorisé par Piaget est découpé en 5 sous-stades qui seront développés tout au long de ce chapitre. Si ces sous-stades sont bien détachés les uns des autres, comme vous pourrez le lire, ils appartiennent bien tous à un seul et même stade : le stade de l’intelligence sensori-motrice car ils sont tous définis par Piaget comme utilisant l’intelligence pratique (c’est-à-dire l’intelligence permettant de s’adapter à l’environnement) et le réflexe comme matériel privilégié.
1) Le sous-stade de l’exercice réflexe (de 0 à 1 mois)
A la naissance, l’enfant dispose uniquement d’un matériel réflexe nécessaire et héréditaire dont le plus visible est le réflexe de succion. Pour Piaget ce matériel réflexe constitue ce qu’il nomme « schème » c’est-à-dire la plus petite unité d’un acte. En partant de ce constat, Piaget essaie de comprendre comment ces réflexes héréditaires vont permettre à l’enfant d’interagir. Piaget constate que dans ce sous-stade deux fonctions nécessaires à l’adaptation sont confondues. Il s’agit de notions d’assimilation et d’accommodation. Pour Piaget, l’assimilation correspond à un processus où une donnée de l’extérieur est assimilée par la structure actuelle du sujet. L’accommodation, quant à elle, correspond à une modification de la structure actuelle du sujet afin de s’adapter à une ou plusieurs modifications de l’environnement. Si l’on prend le réflexe de succion, on se rend compte que le bébé tête de mieux en mieux (c’est l’accommodation) et qu’il consolide ce réflexe au contact du sein (c’est l’assimilation). Pour arriver à cette assimilation, le bébé a bien évidemment besoin de répétition. Avec ce réflexe de succion, le bébé ébauche alors le principe d’une réaction circulaire. Au fil du temps, avec l’assimilation et l’accommodation, les schèmes vont s’organiser les uns avec les autres par l’activité même du sujet même si, à ce stade, il n’y a pas encore de distinction / de rupture entre le biologique et l’adaptation intellectuelle. En effet, ici, le sens des choses se traduit uniquement par des perceptions sensorielles.
Ce sous-stade est donc marqué par une prépondérance des perceptions sensorielles. Si l’assimilation et l’accommodation ne distinguent pas encore le biologique de l’adaptation intellectuelle, pour Piaget, ce sont quand même elles (ce qu’il nomme invariants fonctionnels) qui vont permettre la transition entre ces deux éléments : biologique et adaptation intellectuelle, et ce par la répétition, c’est-à-dire par le principe de réaction circulaire.
2) Le sous-stade des premières habitudes et d’adaptation acquise
(réactions circulaires et schèmes primaires de 1 à 4 mois)
Arrivé à ce sous-stade, l’invariant fonctionnel « assimilation » prime sur l’accommodation. En effet, progressivement, le matériel héréditaire va se doubler d’adaptation acquise et d’habitudes et ce grâce à l’apprentissage de données nouvelles liées à l’adaptation au monde extérieur. Ici, ce sont les réflexes développant des réactions circulaires qui permettent à l’enfant d’acquérir des habitudes, qui elles-mêmes, seront les moteurs d’une première adaptation au monde extérieur. Ainsi, les réflexes se consolident et se développe par là même un ensemble sensori-moteur (c’est-à-dire « agir en se sentant agir »). Cependant, l’enfant n’a pas encore de réelle conscience. Ces réactions circulaires venues des réflexes ne sont pas encore vraiment conscientes. Ces réactions circulaires se réalisent par l’action elle-même et non par la volonté d’agir. En effet, dans ce sous-stade, c’est l’action, et uniquement l’action, qui est le moteur de l’action et ce par les perceptions sensorielles qu’elle suscite. Pour l’enfant, le monde n’est qu’un ensemble de tableaux sensoriels dans lequel les sensations ne sont pas reliées. Les sensations peuvent être reconnues mais elles n’ont aucune permanence, elles n’existent que dans l’instant. L’espace, quant à lui, est vu comme plusieurs espaces indépendants selon l’action. C’est l’action qui crée l’espace. Le temps n’a pas d’existence réelle. En fait, dans ce stade, l’enfant a une attitude d’égocentrisme intégrale et inconsciente.
Toutefois, il commence ici à y avoir un début de distinction entre signifiant et signifié même si elle reste primaire car, avec les habitudes, l’enfant commence à réaliser des prévisions à partir de signaux « indices » mais cela reste quand même ancré aux perceptions sensorielles. Par exemple, quand on incline l’enfant sur le côté, apparaît le réflexe de succion. L’inclinaison est donc un signal « indice », un signifiant.
3) Le sous-stade des réactions circulaires secondaires et des schèmes
secondaires (de 4 mois et demi à 8-9 Mois)
Ce sous-stade débute avec l’apparition des réactions circulaires secondaires qui se caractérisent par la répétition d’action dans le but de retrouver le résultat qui s’était produit par hasard. Ce sous-stade est donc orienté vers l’objet, à la différence du sous-stade précédent qui était, lui, orienté vers l’action. Pour Piaget, ces réactions circulaires secondaires se forment par une assimilation réciproque des deux schèmes en présence (Par exemple : tirer un cordon : schème moteur et schème visuel). C’est en d’autres termes une compréhension que le résultat est du à l’action ce qui constitue une ébauche de but. C’est ce que Piaget nomme « intentionnalité primaire ». Cela va être prolongé à tous les objets qui se portent à l’enfant, ce qui va l’amener à se rendre compte de la différence entre les objets. L’objet devient un signal et commence à prendre du sens. Les réactions circulaires secondaires sont possibles car les schèmes sont organisés entre eux. Cela témoigne de l’émergence de comportements intelligents car apparaît une mobilité des schèmes.
Ces réactions circulaires secondaires permettent un début de permanence de l’objet. Cependant, cette permanence est pratique car associée à l’action et n’est que momentanée. L’espace, quant à lui, prend de la consistance mais n’est pas encore construit. Seul l’espace concernant l’action est coordonné. L’enfant commence à avoir des intentions même si elles restent floues. En effet, l’enfant veut seulement retrouver le même résultat mais il ne fait pas encore de prévisions. En ce qui concerne le temps, l’enfant ne le perçoit que comme une succession d’événements non inclus dans une durée.
Dans ce sous-stades, si des prémisses d’intentions (l’intentionnalité primaire) apparaissent, il n’y a pas encore de distinction entre signifiant et signifié. Il y a uniquement l’apparition d’indices intermédiaires comme, par exemple, le bruit d’air de la tétine annonçant la fin du biberon. Là encore, la signification ne se situe que dans l’action et en est indissociée. C’est à ce sous-stade que l’enfant réalise des imitations systématiques des gestes qu’il peut voir.
4) Le sous-stade de coordination des schèmes secondaires
(8-9 mois à 11-12 mois)
Le comportement caractéristique de ce sous-stade correspond à la recherche d’un intermédiaire pour atteindre un objet. Arrivé à ce stade, et avec l’apparition de ce type de comportement, on assiste donc à une manifestation de l’intentionnalité, c’est-à-dire à une dissociation des buts et des moyens pour effectuer ce but. En fait, l’enfant cherche à combiner plusieurs schèmes (mobilité des schèmes). Au fur et à mesure, ces schèmes s’élaborent de manière à devenir des concepts pratiques. Il va y avoir une combinaison des schèmes de moyens et des schèmes de buts. C’est le principe d’organisation. A la différence des trois autres sous-stades, l’accommodation n’est plus une accommodation à l’objet mais une accommodation à la situation.
Cependant, l’enfant ne maîtrise pas encore la permanence de l’objet en soi. On assiste à un comportement de recherche de l’objet perdu mais l’enfant ne tient pas compte du déplacement de l’objet. La permanence de l’objet n’est pas associée à l’objet lui-même mais à sa position (Ex : l’expérience de Piaget et l’erreur A non B). Avec la locomotion, la bannière entre espace proche et espace lointain est franchie. L’espace devient alors plus consistant et acquiert une certaine permanence mais l’espace n’est pas encore homogène. Pour l’enfant, l’espace est mobile quand il se déplace. Dans ce sous-stade, on voit également apparaître des indices vrais, indépendants de l’action propre de l’enfant, qui permettent de commencer à différencier le signifiant du signifié. Par exemple, l’enfant va pleurer quand on lui met un bavoir après le bain car il sait qu’il va prendre ses médicaments « pas bons ». Parallèlement, l’enfant continue ses activités d’imitation mais il sait désormais imiter des parties invisibles du corps.
5) Le sous-stade des réactions circulaires tertiaires (schèmes tertiaires)
Combinaison expérimentale des schèmes et découvertes De 11-12 mois à 18 mois
Ce sous-stade correspond au dernier réellement sensori-moteur. En effet, arrivé à ce sous-stade, l’enfant réalise des réactions circulaires tertiaires, c’est-à-dire des actions que l’enfant réalise et fait varier pour en explorer les potentialités. Ici, il y a une intention spontanée d’expérimenter l’objet. Par conséquent, l’accommodation devient prépondérante. C’est elle qui commande l’assimilation. En fait, l’enfant ajuste des schèmes qu’il a lui-même construits. Et c’est la découverte qui provoque l’apprentissage. Les réactions circulaires tertiaires traduisent une activité assimilatrice structurante qui introduit une distinction entre schèmes principaux (qui motivent le but de l’action) et schèmes secondaires ou auxiliaires (moyen pour atteindre le but). Malgré cela, ce sous-stade est toujours sensori-moteur dans le sens où l’intelligence est toujours pratique et est immédiate. L’adaptation se produit dans l’action. Par contre, l’enfant évolue car il ne fait plus l’erreur A non B, c’est-à-dire qu’il tient compte des déplacements des objets les uns par rapport aux autres. Le monde devient donc cohérent et acquiert une structure.
Ici, la signification correspond toujours à des indices mais il apparaît un détachement du contexte. L’enfant est capable de faire des prévisions, des anticipations pratiques (exemple : s’il voit des peluches, il joue avec). Apparaît également une augmentation des imitations des modèles nouveaux en expérimentant des mouvements mais ces imitations restent encore dans l’immédiat. Il n’y a pas encore d’imitation sans la présence d’un modèle.
6) Le sous-stade de combinaison mentale des schèmes : invention et
représentation de 18 mois à 2 ans
Arrivé à ce sous-stade, l’enfant a une grande spontanéité des schèmes. Cela est du à l’accès à la représentation mentale de son action. L’enfant n’a désormais plus besoin de tâtonner puisqu’il peut coordonner mentalement les schèmes. Pour Piaget, l’enfant effectue une assimilation structurante car l’enfant, face à un problème, réorganise les schèmes. Ces schèmes vont alors s’assimiler réciproquement. Cela nécessite donc de la représentation car l’enfant a besoin d’un objet mental pour combiner réciproquement les schèmes. Et c’est l’accommodation qui permet cela. Ici, il y a donc un équilibre entre accommodation et assimilation. On assiste donc à une interaction entre l’invention et la représentation puisque c’est cette interaction qui va permettre à l’enfant de déployer un comportement adapté. Dès lors, l’enfant peut manipuler des schèmes indépendamment de la perception immédiate.
Cependant, pour en arriver là, Piaget prouve qu’il faut une différenciation totale entre signifiant et signifié. C’est d’ailleurs pour cela que l’imitation différée n’apparaît qu’à ce stade. C’est ici, pour Piaget, la preuve de l’utilisation de la fonction symbolique. En fait, l’image mentale n’est pas une photographie mais c’est une construction selon Piaget. C’est une activité motrice intériorisée.
Conclusion du stade de l’intelligence sensori-motrice
Pendant la période sensori-motrice, on assiste donc à une décentration progressive de l’enfant. On passe d’une confusion totale entre lui et son environnement à un environnement cohérent, stable et structuré. Pour Piaget, tout en structurant le monde, l’enfant se structure lui-même. La logique sensori-motrice repose sur le schème et c’est dans l’action que l’enfant comprend le monde qui l’entoure. A la fin de ce stade, l’enfant a assimilé le monde pour accommoder ses actions. Il effectue alors des comportements adaptés.
- II) Stade de préparation et d’organisation de
l’intelligence opératoire concrète De 2 ans à 11-12 ans
Arrivé à ce stade, l’enfant a accédé à la fonction symbolique dans la représentation du monde au point de vue mental. Les schèmes sont désormais intériorisés. Comme nous l’avons vu, la représentation mentale va permettre à l’enfant de s’adapter à son environnement. Cependant, à ce stade, il reste deux difficultés majeures à résoudre pour l’enfant quant à une adaptation optimale à l’environnement : L’égocentrisme et la réversibilité. Pour Piaget, l’égocentrisme se définit comme la tendance de l’enfant à expliquer le monde uniquement par son propre point de vue. Cela pose un problème à l’enfant dans son adaptation au monde car cela l’empêche de se décentrer et donc de réaliser une « analyse du monde » objective. La réversibilité, quant à elle, se définit comme la capacité à penser a posteriori une action réalisée dans le but d’auto-corriger son action. A ce stade, l’enfant ne l’a pas encore correctement acquis, ce qui l’empêche de corriger ou de moduler ses actions afin qu’elles soient plus adéquates. Là encore, cela pose un problème à l’enfant dans son adaptation au monde extérieur. Ces deux points problématiques devront donc être corrigés tout au long de ce deuxième stade pour que l’enfant continue son évolution et son adaptation au monde extérieur. Comme pour le stade précédent, cela va apparaître de façon progressive. C’est la raison pour laquelle Piaget va découper ce stade en cinq sous-stades ; chacun répondant à une ou plusieurs évolutions majeures primordiales au développement de l’enfant.
1) Le sous-stade de consolidation des représentations de 2 à 4 ans
Comme nous l’avons vu, la fonction symbolique, principalement fondée sur les images mentales, apparaît vers 2 ans en même temps que l’imitation différée, le jeu symbolique et le langage. Ces trois activités nécessitent en effet la manipulation de la pensée puisque, par exemple, grâce à l’imitation, l’enfant construit des signifiants de plus en plus complexes et variés qui permettront de constituer un système de symboles individuels.
Cependant à ce stade, la pensée est purement assimilatrice et entièrement égocentrique puisque le signifiant et le signifié sont assimilés en même temps. Par exemple, l’objet « morceau de bois » et son signifiant « épée » sont assimilés en même temps.
Le jeu symbolique consiste ici à satisfaire le moi en transformant le réel en fonction des désirs. Ainsi, l’assimilation prédomine sur l’accommodation.
Néanmoins, il existe quand même une pensée adaptée (« sporadique » pour Piaget) qui se manifeste sous forme de pensée pré-conceptuelle. Les schèmes d’action restent malgré tout identiques aux schèmes verbaux puisque, pour Piaget, les mots sont toujours associés à des images.
Progressivement cependant va apparaître une association de l’objet à un concept (et plus uniquement à une image). C’est cela que Piaget nomme « pensée pré-conceptuelle ».
Avec le pré-concept, l’enfant élabore un schème d’action à mi-chemin entre le symbole et le concept et assimile à un objet privilégié sans accommodation du concept à tous les objets auxquels cela peut être généralisé.
Ce stade est donc marqué, pour Piaget, par le développement de cette pensée pré- conceptuelle.
2) Le sous-stade de l’organisation représentatrice fondée sur des configurations statiques ou sur une assimilation de l’action propre de 4 à 5 ans et demi
Vers 3 ans et demi / 4 ans, l’enfant devient capable de s’expliquer. On peut alors observer l’organisation de ses représentations ainsi que les caractéristiques de l’égocentrisme. Pour Piaget, le langage égocentrique (monologue) s’oppose au langage socialisé même s’il correspond, tout comme l’égocentrisme d’ordre intellectuel en général, à une attitude spontanée qui va commander l’activité psychique de l’enfant. Cette attitude a à la fois un aspect négatif et un aspect positif pou Piaget ; L’aspect négatif vient du fait que cette attitude égocentrique empêche l’enfant de coordonner des éléments objectifs du monde. Cependant, elle a un aspect positif dans le sens où elle permet à l’enfant d’absorber le monde, d’incorporer les choses ainsi que les groupes sociaux car l’enfant s’imagine connaître les choses et les personnes alors qu’en fait il projette les qualités de son propre moi sur les autres. L’enfant est donc immergé dans son égocentrisme à ce sous-stade ; égocentrisme lui permettant néanmoins à analyser et comprendre le monde qu’il entoure même si tout tourne autour de lui. Pour Piaget, cet égocentrisme « naturel » n’est pas unique, il prend plusieurs formes. Il détermine en effet 2 catégories d’égocentrisme :
– L’égocentrisme ontologique, lui-même divisé en deux attitudes : l’animisme
correspondant à la croyance que toutes les choses sont vivantes et l’artificialisme défini comme la croyance que tout a été créé par l’homme. – L’égocentrisme logique, lui aussi divisé en deux attitudes : le syncrétisme qui empêche l’enfant d’analyser et de définir les choses et la transduction correspondant à l’impossibilité de l’enfant à démontrer.
Pour Piaget, toutes ces manifestations témoignent de l’assimilation déformante de la réalité. L’accommodation quand elle se présente est subordonnée à l’assimilation. L’accommodation est donc ici superficielle même si elle existe bel et bien. Reste alors à comprendre comment va s’opérer le passage de cette pensée irrationnelle à une pensée rationnelle.
3) Le sous-stade des représentations articulées par régulation de 5 ans et
demi à 7-8 ans
Arrivé à ce stade, l’enfant va commencer à opérer une décentration, c’est-à-dire qu’il va se dégager progressivement de son point de vue subjectif, car ses représentations deviennent de moins en moins statiques et donc moins globales et plus mobiles. Ainsi, l’enfant va pouvoir coordonner ses représentations et accéder, à la fin de ce sous stade, à la réversibilité. La réversibilité apparaît progressivement grâce au mécanisme, nommé par Piaget : l’intuition primaire. Cette intuition primaire est démontrée par Piaget par son expérience des jetons. En effet, Piaget place 6 jetons en ligne et demande à l’enfant de 3-4 ans de faire la même ligne avec des jetons mis à sa disposition. Piaget montre ainsi que l’enfant de cet âge met autant de jetons qu’il en faut pour faire la même longueur de ligne sans tenir compte du nombre de jetons réellement identique à la première ligne. En fait, l’enfant se laisse piéger par ce qu’il voit. Cependant, arrivé à 5 ans (c’est-à-dire à ce stade), l’enfant met bien 6 jetons pour réaliser la même ligne mais dès lors qu’on écarte les premiers jetons, il pense que c’est plus pareil. C’est là l’intuition primaire puisque l’enfant a, au départ, l’intuition de mettre autant de jetons que la ligne témoin mais il ne conserve pas ce raisonnement dès lors qu’on modifie cette ligne. L’enfant évolue donc même s’il continue de se laisser piéger par ce qu’il voit. Ce phénomène correspond, selon Piaget, au prima du figuratif. Cette intuition primaire va persévérer jusqu’à 7-8 ans, en devenant au fur et à mesure de moins en moins prégnante. Dès lors qu’elle n’apparaîtra plus, l’enfant ne se situera plus dans ce sous-stade mais dans le sous-stade suivant.
4) Le sous-stade des opérations concrètes simples et élémentaires de 7-8
ans à 9-10 ans
L’enfant n’utilise plus ici l’intuition primaire. Il a en effet acquis le principe de conservations qui n’est possible qu’à partir du moment où il maîtrise la réversibilité. La réversibilité est acquise, selon Piaget, à partir du moment où l’enfant est capable d’utiliser 3 aspects dans le principe conservation :
– L’identité, c’est-à-dire que l’enfant se dit que l’on a rien enlevé et rien ajouté donc
c’est la même chose – L’inversion, c’est-à-dire que l’enfant se dit que si on fait l’inverse, on revient à la
même chose – La compensation, c’est-à-dire que l’enfant se dit si, par exemple, une pâte à modeler
est plus fine que celle témoin, la quantité est compensée car elle est plus haute.
Cependant, Piaget remarque que, si ces 3 aspects sont maîtrisés dès 7-8 ans, il existe des décalages horizontaux dans le principe de conservation selon le « type » de « matières ». En effet, vers 7 ans, l’enfant a acquis l’équivalence quantitative, c’est-à-dire la conservation des longueurs et des surfaces. Il faut par contre attendre 7-8 ans pour qu’il acquière la conservation des substances, 8-9 ans pour la conservation des poids et 9-10 ans pour la conservation des volumes. On voit donc bien que l’intuition primaire est tenace selon le type de conservation et qu’elle ne disparaît que progressivement tout au long de ce sous-stade.
Arrivé à ce sous-stade, 3 types d’opérations se mettent en place :
– Les opérations de classification correspondant à un système d’opération qui permet de mettre en relation les différences et les ressemblances entre concept et objet. Cela implique alors la relation d’inclusion. Par exemple, avec 10 marguerites et 2 roses, l’enfant doit construire la classe de marguerites, des roses pour les classer en une catégorie : les fleurs. – La sériation qui consiste à ordonner les éléments en fonction d’une propriété qui varie
(par exemple, ordonner du plus petit au plus grand). – Les opérations numériques/la numération qui n’est maîtrisée que vers 8 ans, dès lors que l’enfant maîtrise la logique de classification et de sériation car les nombres ont une classification faisant appel à la relation d’inclusion et la relation d’ordre.
Ces trois opérations constituent des opérations concrètes simples et élémentaires selon Piaget car elles ont besoin du « concret » pour pouvoir être réalisées. Pour lui, ces opérations se nomment « opérations logico-mathématiques ».
5) Le sous-stade des opérations concrètes complexes spatio-temporelles
de 9-10 ans à 11-12 ans
Si dans le sous-stade précédent l’enfant a toujours besoin d’un support concret pour réaliser les opérations de classification, de sériation et de numération, arrivé à ce stade, il va commencer à réaliser des opérations avec un support abstrait comme le temps ou l’espace. Et comprendre le temps et l’espace, aussi difficile que ce soit, reste néanmoins nécessaire pour comprendre le monde. Deux grandes opérations apparaissent à ce stade selon Piaget :
– Les opérations temporelles – Les opérations spatiales
Les opérations temporelles
Ces opérations n’apparaissent bien évidemment pas soudainement. Il existe des prémisses dès le stade sensori-moteur avec les intuitions de temps (ex :temps entre les biberons) mais ce temps n’est ni homogène, ni uniforme. Ce n’est que vers 8 ans qu’apparaissent les premières opérations temporelles. Il y a d’abord les opérations d’ordination (c’est-à-dire la maîtrise de l’ordre temporel) puis les opérations d’emboîtement des durées (les durées courtes s’emboîtent dans les durées longues, cela constitue un reflet de classification) puis la maîtrise logique du temps vers 10 ans.
Les opérations spatiales
Ces opérations ne sont réellement maîtrisées à cent pour cent que vers 11-12 ans et passent par la maîtrise de trois opérations :
– les opérations topologiques qui consistent à savoir que quelqu’un placé à un autre endroit que moi ne voit pas la même chose que moi, il n’a pas le même angle de vue. Ici, l’enfant sait que l’autre ne voit pas la même chose mais ne sait pas ce qu’il voit. – Les opérations projectives permettent à l’enfant de projeter les opérations
topologiques dans une structure qui les enveloppe. – Les opérations euclidiennes qui englobent les deux opérations précédentes. Ici, l’espace
détient enfin des propriétés logiques que l’on peut manipuler. L’enfant arrive désormais à conserver l’espace qui devient homogène même s’il faut toujours à l’enfant du matériel concret pour réaliser ces opérations.
Conclusion
Voici donc comment Piaget a théorisé le développement Psychologique de l’enfant de 0 à 12 ans. A la fin de ce résumé, il manque donc la période d’adolescence marquant la transition entre l’enfance et l’âge adulte. Ce manque est volontaire ici car j’ai voulu uniquement m’intéresser au développement psychologique de l’enfant et non de l’adolescent. Si vous êtes intéressé par cela, je vous conseille de lire les nombreux ouvrages de Piaget qui sont tous très enrichissants quant à la compréhension du développement psychologique. Je vous souhaite donc à toutes et à tous bonne lecture pour la prochaine étape du développement psychologique : l’adolescence.
Bibliographie indicative :
La psychologie de l’enfant par Jean Piaget et Bärbel Inhelder (Broché – 10 septembre 2004) La Représentation du monde chez l’enfant par Jean Piaget et Quadrige (Broché – 23 octobre 2003)